Surprise
Après avoir perdu son travail, le père de Michael (le narrateur) fait venir sa femme et son fils dans un port du sud de l’Angleterre. Il leur a préparé une surprise…
Nous avancions tant bien que mal, nos valises à la main. Les mouettes criaillaient au-dessus de nos têtes, les gréements des voiliers claquaient autour de nous, et Stella jappait, curieuse de tout. Enfin, mon père s’arrêta devant une passerelle qui conduisait à un étincelant bateau bleu foncé. Il posa les valises et nous regarda. Un grand sourire lui éclairait le visage. « Eh bien, laissez-moi faire les présentations, nous dit-il. Voici Peggy Sue. Notre nouvelle maison. Elle vous plaît ? » Tout bien considéré, ma mère prit les choses plutôt bien. Elle ne s’énerva pas. Elle devint simplement très silencieuse et elle le resta tout au long des explications de mon père, en bas, dans le carré du bateau, devant une tasse de thé. « Je n’ai pas fait ça sur un coup de tête, vous savez. J’y ai réfléchi longtemps, pendant toutes ces années où je travaillais à la fabrique. Bon, peut-être qu’à l’époque j’y rêvais seulement. C’est drôle, quand on y pense : si je n’avais pas perdu mon travail, je n’aurai jamais osé le faire, non, jamais ! » Il savait que ce qu’il nous disait ne tenait pas tellement debout. « Alors, reprit-il, voilà ce que j’ai pensé. Quelle est la chose que nous préférons faire ? De la voile, c’est vrai, non ? Je me suis dit que ce serait merveilleux de pouvoir tout simplement partir et de faire le tour du monde à la voile. Il y a des gens qui l’ont fait. Ils appellent ça la navigation en eau bleue. Je l’ai lu dans une revue. Comme je vous l’ai dit, au début ce n’était qu’un rêve. Et puis, plus de travail, plus de possibilité d’en trouver. Alors, que peut faire un homme ? Il prend son vélo. Et pourquoi pas un bateau ? Nous avons reçu nos indemnités de licenciement, même si ce n’était pas
grand-chose. Il y a le peu que nous avons économisé et l’argent de la voiture. Pas une fortune, mais quand même. Que faire de cet argent ? J’aurais pu tout mettre à la banque, comme les autres. Mais dans quel but ? Pour se contenter de le voir disparaître peu à peu jusqu’à ce qu’il n’y en ait plus du tout ? Et si l’on s’en servait plutôt pour faire quelque chose d’exceptionnel, quelque chose qu’on n’entreprend qu’une seule fois dans sa vie, comme le tour du monde à la voile ? Afrique. Amérique du Sud. Australie. Le Pacifique. Nous pourrions voir des endroits dont nous avons seulement rêvé jusqu’à présent ! »
Michael Morpurgo, Le Royaume de Kensuké, trad. Par Diane
© Gallimard jeunesse